Depuis Septembre 1963 je n'ai plus de souci. Et pour cause je suis incorporé au 8ème RPIMa. L'armée, bonne fille, s'occupe de tout. Elle pourvoit à mon habillement, à mon alimentation en veillant qu'elle ne soit ni trop sucrée ni trop grasse, à ma forme physique en me proposant des séances quotidiennes voire biquotidiennes de sport. Elle s'occupe de mon hygiène en me proposant au minimum une douche journalière. Elle fait très attention à mon look en me faisant passer sous la tondeuse, maniée avec l'énergie d'un gaillard qui devait être maréchal ferrant dans le civil. Si par mégarde, ma famille avait manqué à mon éducation civique, « l'ost » moderne, allait me rappeler très vite qu'il convenait de saluer et de se présenter en ayant un regard direct avec son interlocuteur et qu'il convenait de tenir et de garder la tête haute.
Remarquez bien que je n'avais aucun mérite ayant effectué quelques années auparavant deux années dans une école d'enfant de troupe..... !
J'y avais appris l'essentiel que personne ne peut dire mieux qu'Albert Einstein:
« Deux choses sont infinies : l'Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l'Univers, je n'en ai pas encore acquis la certitude absolue ».
Fort de cette expérience j'avais décidé de ne jamais m'insurger contre l'armée. La lutte était inégale, perdue d'avance. Par une sorte d'antimilitarisme vertueux j'avais donc décidé d'être l'incorporé modèle.
Sans me laisser le temps de me demander ce que je faisais dans cette galère, je fis dans la foulée, mes classes, mon stage parachutiste, un peloton de caporal, quatre mois d'instruction suivis de deux mois de peloton de sergent et enfin quatre mois en qualité de sergent instructeur.
Je n'étais guère éloigné de ma date de libération quand la lecture d'un magazine m'apprend qu'une organisation non gouvernementale (o.n.g.) recrute pour partir deux ans en Afrique noire. Après un stage de pré-sélection au Plessis-Robinson suivi d'un stage de formation je suis sur la liste des partants pour l'aventure.
Je suis libéré. C'est maintenant que commence la vie.
Le Général de Gaulle, président de la république, décide de recevoir quelques volontaires, candidats en instance de départ.
C'est à son initiative que la France a décidé d'envoyer des jeunes gens dégagés de leurs obligations militaires et diplômés soit, en agriculture soit dans un métier d'artisanat. En fait le Général souhaite contrer le «Peace Corps» américain crée par le président Kennedy. Je suis sélectionné pour faire partie des neufs futurs volontaires invités à l’Élysée.
Nous sommes costumés et cravatés comme il se doit. A l’Élysée M.Triboulet ministre de la coopération et M. Jacques Foccart sont présents. Un huissier nous précise que le général ne veut pas qu'on l'appelle M. le Président. Il veut être appelé par son grade.
Le général rentre. Nous sommes alignés dans le grand salon. Je suis le deuxième.
Le général arrive à ma hauteur. Garde à vous impeccable. « Robert Jaeger en partance pour le Dahomey. Mes respects mon général.» Tout en me serrant la main le général me répond avec la voix que tout le monde lui connaît: « C'est bien...., ils en ont besoin......»
Quelques mois plus tard, dans la moiteur équatoriale, je suis reconnu des enfants de l'école d'Avrankou au Dahomey, sur l'écran de cinéma où l'on peut voir les actualités cinématographiques du trimestre précédent.
Le « yovo » Robert était là, oui là sur l'écran et mieux encore avec le général de Gaulle à l’Élysée.
Longue vie au yovo Robert et au général de Gaulle.
Cinquante ans plus tard, je me demande toujours ce que le Général a bien voulu dire dans ce « C'est bien ...ils en ont besoin.! »
Ecrit à Castelnau de Guers
Post scriptum :
L'homme qui s'affiche même d'une façon fortuite avec quelqu'un de connu devient d'un seul coup lui aussi un homme remarquable.Robert Arnold JAEGER-GARTZ
Sur la terrasse coté jardin le général prend congé. Je suis le plus à droite