L'exercice de saut à la tour de départ est à recommencer trois fois. Dernier défi, lancé à ta propre trouille. La sensation de chute est terrible avec l'estomac qui remonte. Une fois cette redoutable épreuve terminée, ton passage dans la caste "supérieure" est quasiment effectué. Le saut d'avion par lui même n'est plus qu'une formalité. Surtout pour ceux d'entre nous qui avions déjà sauté. « Sauté pour de vrai. »
Dès le premier saut du Nord Atlas, nous sommes exemptés de la position réglementaire et nous sautons en exercice opération "Bitte à cul". Belle métaphore pour expliquer que seul le premier du stick est en position. Les autres n'attendent qu'une chose, le GO libérateur pour sauter le plus vite possible afin d'arriver le plus groupé au sol. Là, plus question de trac ni de refus. Les sauts suivants se corsent par l'obligation d'ouvrir le ventral et de l'empêcher de s'emmêler avec le dorsal. Puis quelques sauts avec des canons de mitrailleuse lourde que l'on doit larguer avant notre propre atterrissage. Enfin l’obligation de faire quelques sauts de nuit. Lors d'un de mes derniers sauts mon dorsal a eu la fâcheuse tendance à se fermer et se rouvrir en "flocs" successifs qui me faisaient prendre de la vitesse. Sans paniquer, mais prêt à ouvrir mon dorsal, j'arrive à bien écarter mes suspentes jusqu'à faire retrouver à mon "pépin" ses formes et dimensions réglementaires. J’atterris ce jour là au sol le tout premier du stick.......
De retour à Castelnaudary avec notre brevet nous nous voyons remettre la fourragère du régiment. Signe que nous sommes des militaires capables d'aller se faire tuer........diront certains, ou capable seulement de défendre l'honneur de leur pays diront d’autres.
Je suis très partagé entre les deux idées qui ne m’apparaissent pas si opposées que cela. « Mourir pour des idées, d'accord mais de mort lente » a dit Brassens.
J'avais vingt ans et à ce moment là j'étais plus deuxième version, quoique.
Ce que je veux surtout c’est ne pas avoir de problème avec mes supérieurs hiérarchiques, me souvenant trop de ma période « enfant de troupe ».
Je suis volontaire pour effectuer un peloton de futur caporal. Durée, deux mois.
Luck, à sa grande déception, est envoyé en stage de secrétariat à Toulouse.
Après ce peloton d'élève gradé le caporal Jaeger est affecté à l'instruction des nouvelles recrues (4 mois) et prend place dans la chambrée près de la fenêtre...... Assez vite je suis nommé caporal-chef.
Nous rejoignons le régiment à Castres. Puis je m’inscris à un peloton d'élève sous-officier pour obtenir le grade de sergent. Direction Pau une nouvelle fois. Ici le « crapahut » et l'instruction prennent une autre dimension. On apprend à commander, à prendre des responsabilités. Ce mot responsabilité peut sembler anachronique dans le contexte militaire. Et pourtant pour commander, même une patrouille de dix hommes, il faut pouvoir de temps en temps prendre des responsabilités.
Nous apprenons à nous débrouiller dans la nature, de jour comme de nuit, sans carte et sans boussole. Nous partons pour un exercice de défense de nos frontières, dans un col des Pyrénées. Il faut se mettre en position défensive, en creusant son trou et en le camouflant. Une tranchée individuelle en quelque sorte. La pluie se met à tomber mais nous sommes bien obligés d'attendre que l'ennemi se dévoile. Pas de cigarette possible pour se réchauffer, pas de repas chaud. Nous attendrons toute la nuit et l'attaque ne se produit qu'en milieu de matinée. Il faut alors « gicler » de nos trous et faire mouvement. La douleur des membres totalement engourdis par une nuit d'humidité, de froid et d'immobilisme est terrible dans les premiers pas. Après une bataille gagnée ou perdue, peu importe, devant les envahisseurs, nous rejoignons les camions qui doivent nous ramener au camp. Mais notre lieutenant commandant de section surnommé « le Bœuf » un « Cyrard » assez borné....ça existe, même dans les paras, est de mauvaise humeur. Il renvoie les camions et décide que nous ferons les 25 km de retour, à pieds. Il prend la tête du groupe et annonce que celui qui ne rentrera pas dans le même temps que lui, repartira pour une quinzaine de km, avec lui...
Nous ne sommes que 3 à arriver dans les temps. Boubekeur qui prenait 50 m de retard tous les 200 mètres mais qui revenait en petites foulées, Lefranc un métis Franco Vietnamien et moi. Les autres sont effectivement repartis pour un nouveau tour...... de 15 km ….... avec Leboeuf.
La dernière épreuve "initiatique" consiste à faire un parcours de 75 km en trois étapes. Durée 24 h chrono. 1ère étape, avec carte et boussole. 2ème étape avec seulement une carte. 3ème étape avec l'unique boussole. Un point de rassemblement unique et un temps limité bien entendu. Pour les retardataires ou ceux qui se sont égarés en ne prenant pas le bon cap, il faudra rentrer au camp distant de plusieurs dizaines de km, à pieds ou par les moyens de la débrouillardise. Mais nous sommes au cœur des Pyrénées et les civils et les gendarmes ont des instructions. La dernière étape à la boussole est très compliquée. Difficile avec l'accumulation de la fatigue, de la nuit, du terrain et de la forêt. Sans oublier l’obligation de suivre l’azimut quel que soit l’obstacle devant nous sous peine de manquer le point de rassemblement. Ce n’est qu’une clairière. J’arrive dans les temps à mon grand soulagement.
J'avais dans ma section un ancien caporal de la légion, maintes fois cassé pour indiscipline. Il était décoré de la médaille militaire et quand un jour il fait le « couillon » il faut le faire garder au "gnouf" par un sous-officier . Autant dire que sa mise en boîte n'a pas durée.
C'est le colonel Bigeard commandant à titre exceptionnel la « 11ème D.L.I », (division légère d'intervention), qui nous remet nos diplômes de stage. Moment d'émotion devant le regard de ce bonhomme au passé prestigieux s'il en est. Même si plus tard il sera contesté ainsi que Massu pour avoir fait pratiquer la torture. Nous n'avons pas à juger même si nous avons une opinion.
De retour à Castres je suis rapidement nommé Sergent. La remise de ce grade un samedi me vaut la plus belle cuite que j'ai jamais eue. Le bizutage consiste à avaler un cocktail concocté et préparé par les officiers de la compagnie. Le pot "d'intronisation" était suivi par le premier repas au mess. La traversée de la cour, de la caserne du bâtiment de la compagnie au mess, fut laborieuse. Le repas arrosé m'a définitivement achevé. Je me suis réveillé dans la piaule, réservée à mon nouveau grade, plus de 24 h après les événements.
Ma chambre est au bout du couloir en face du bureau du capitaine commandant la compagnie, lequel était voisin du bureau de Luck qui faisait office de secrétaire, de comptable et d'homme de confiance. Il faisait souvent la liaison entre les hommes de troupe et les gradés.
Je suis alors affecté en tant que sergent instructeur dans le peloton des élèves caporaux.
Souvenir de magnifiques « crapahuts » en forêt de la Loubatière où nous organisons des opérations de survie. Les truites pêchées à la fourchette ou au moyen de grenades d'exercice, trafiquées. Le lapin de garenne........attrapé par un élève caporal.....mais le lapin était blanc.
Souvenir de ma première fondue savoyarde autour d'un feu de camp. Fondue à base de "vache qui rit" mais tellement bonne. Souvenir du radeau fabriqué pour traverser le lac de St Féréol ou du Lampy et qui coule à moitié avant d'arriver de l'autre côté. Ma fracture du scaphoïde en exécutant un exercice de saut de camion en marche. Mes relations avec les officiers, qui voient en moi un modèle de militaire, sont très sympathiques. Ils deviennent vite persuadés que je dois continuer une carrière. J'essaie bien de leur expliquer que j'ai déjà donné. Donné avec deux années d'enfant de troupe. Si je suis bien sage ici, c'est que j'ai compris qu'ils étaient momentanément plus forts que moi. Mais qu'à mon tour je serai plus fort qu'eux dès que je les aurai quittés.
Que d'incrédulité dans leurs regards. A tel point qu'ils essaient de me piéger en m'inscrivant contre mon gré aux épreuves du grade supérieur. Je n'aurais pas été contre, s'il n'avait pas fallu faire deux jours de plus pour l'examen final. Je participe une nouvelle fois aux cours d'un peloton de formation qui comprend en outre le passage du permis de conduire. J'apprends et la théorie et la pratique de la conduite, d'une façon très sérieuse. Mais sachant que la réussite du permis conditionne l'examen final, je fais tout pour ne pas l'avoir. Deux ou trois fautes volontaires dans les cas de priorité. Maladresses non moins volontaires sur les routes du Sidobre au volant de la jeep. Néanmoins le lendemain j'apprends qu'ils me délivrent le permis ! Qui dit que les militaires ne sont pas fins psychologues ?
Début 1965 le 8ème RPIMa est en alerte maximum. Nous devons avoir le paquetage prêt pour un départ en camion dans l’heure, vers le plus proche aéroport. Toulouse en l’occurrence.
C’est pendant cette alerte que les Gabonais choisissent de faire une tentative de coup d’état. La France qui soutient le président en place peut et doit intervenir rapidement. L’alerte est au niveau maximum. Nous sommes prêts à partir par sections et compagnies. Nous avons la visite du général Langlais. Le petit homme, par la taille, nous passe en revue en combinaison de saut. Il ne nous manque que les plaques d’identité pour partir. Angoisse chez beaucoup de mes collègues qui sont à quelques semaines de la « quille ». Moi je suis mitigé. J’ai envie de partir en Afrique. Alors comme ça ou autrement ! La France envoie une compagnie basée à Dakar et tout rentrera dans l’ordre. Fin de l’alerte.
Le dernier jour de l'armée, grâce à Gérard Luck, le colonel me signera mon permis VL comme si j'avais vraiment pratiqué la conduite. Gérard risquait gros. Il l'a fait. Merci mon pote.
Je garde un excellent souvenir de la grande majorité de ces officiers et sous-officiers parachutistes. Une de leur grande qualité, ne jamais demander à quelqu'un de faire ce qu'eux mêmes n'auraient pu immédiatement effectuer. C'est beaucoup.
En Février 1965 je suis libéré de mes obligations militaires. Seize mois de service sont passés très vite. Je ne me suis jamais ennuyé, c'était le but recherché. Je suis dans une forme physique à toute épreuve. J'ai appris à souffrir entre autres choses.
La solde de sergent et mes primes de sauts, m’ont permis de ne plus être dépendant de mes parents. Ce qui n'est pas négligeable.
L'autonomie. Enfin !
Écrit Castelnau de Guers le 4 Avril 2020
Le 18ème jour de confinement au Covid19
L'hirondelle s'est mise tout de suite à la consolidation de son nid.
Robert Arnold JAEGER-GARTZ