Le conteur Jaeger Il conte et raconte sans compter une vie par lui bien remplie
34120 CASTELNAU DE GUERS FRANCE

Installation chez le Roi Kèkè

30 Avr. 2021   2eme tiers

  • Cela fait une semaine que nous sommes arrivés à Cotonou. Nous avons fait la connaissance de la capitale économique du pays. Le père Piquelin nous a aidé dans cette première approche.

    Une semaine plus tard au volant d'une 2 CV toute neuve nous débarquons Georges et moi à Avrankou gros bourg sans charme au milieu d'une forêt de palmiers à huile.

     

    C'est Maître Joseph Kèkè, Ingénieur Agronome d'Agro-Paris, mais également avocat au barreau de Dakar et de Cotonou, ancien ministre de l'agriculture de la nouvelle république du Dahomey, qui va nous installer.  Nous serons logés dans la case de la première des quarante quatre femmes de son père le « Roi Kèkè ». 

    « Et cette femme maintenant ?» demande l'indigné.

    « Elle est trop vieille » répond Maître Kéké

     

    Notre maison au toit de tôles ondulées et murs de parpaings de ciment (c'est ici le grand luxe)  se situe en face de l'école primaire d'Avrankou, devenu depuis l'indépendance le chef lieu de canton.

    Le roi Kèkè est, de  droit coutumier, propriétaire de tous les palmiers de son royaume. Les paysans lui doivent une dîme annuelle.Le lendemain les deux Yovos (comprendre les deux blancs) que nous sommes, sont reçus en audience privée par le roi. C'est un vieillard de près de quatre vingts ans. Il est habillé d'un pagne attaché à la taille. Son torse est recouvert d'une chemise de style militaire où deux ou trois médailles Françaises sont exhibées. Il est pieds nus et porte le couvre chef traditionnel des  Fons, un bonnet qui retombe sur l'oreille. Nous savons qu'il comprend parfaitement le français mais il s'exprime dans sa langue natale.

    Sa résidence a été  construite à la fin du XIX ème siècle, en parpaings de terre pressée dans le pur style Portugais. Il nous reçoit à l'étage.

    Quand nous sommes invités à entrer, le Roi est assis dans un grand fauteuil en osier. Il nous invite d'un geste à nous asseoir. Son fils maître Joseph Kèkè s'est prosterné face contre terre et a attendu la permission paternelle et royale de se lever. C'est lui qui va lui expliquer le but de notre venue.

    Le roi Kéké nous demande des nouvelles de notre famille et ….. du général de Gaulle.

    Maître Kèkè esquisse un petit sourire quand il nous traduit les paroles de son royal père:  « Nous avons régné pendant longtemps, puis les Français sont venus, maintenant ce sont des petits chefs qui nous gouvernent. Quand l'indépendance va t-elle  finir ? »

     

    Puis « le vieux » nous souhaite la bienvenue et nous certifie que nous sommes sous sa protection.

    Nous nous apprêtons à prendre congé mais Maître Kèkè nous fait signe de rester assis. Nous devons pour respecter les usages, boire au nom de l'amitié. Un serviteur apporte cinq verres en   « arcopal » et une bouteille de whisky. Pourquoi cinq ? Nous ne sommes que quatre. Le roi, son fils et nous deux, les Yovos.

    La serviteur ouvre ostensiblement la bouteille, jusqu'alors inviolée, devant le roi et ses invités.

    Il fait également office de goûteur et remplit le premier verre aussitôt  transvasé dans le deuxième, lui même vidé dans le troisième et ainsi de suite jusqu'au dernier verre, le sien, qu'il boit. S'il ne tombe pas raide mort empoisonné, il remplit alors ceux des hôtes, celui du roi, lequel donne alors le signe que l'on peut trinquer.

    Mais avant de boire nous honorons les ancêtres en versant un peu de liquide sur le sol. C'est une offrande que nous répéterons des dizaines de fois tout au long des deux années que nous allons vivre ici.

     

    Le roi Kéké ne nous permettra de partir qu'une fois la bouteille finie.

    Le soleil est au zénith quand nous prenons congé de notre hôte.

    L'escalier nous semble plus raide et plus long.

     

    Heureusement il n'y a que quelques dizaines de mètres pour rentrer dans notre nouveau « chez nous ».

    Nous passons, sans un regard pour une maison qui trône au milieu de la place à moins de vingt mètres de notre logis. C'est la maison du python. Une fosse contient de nombreux spécimens que l'on nourrit régulièrement avec toutes sortes de gibiers ou d’œufs.

     

    C'est le Vaudou. Dieu sur terre.

     

     

    Fait à Castelnau de Guers le  Novembre 2019

     

    Robert JAEGER-GARTZ

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