Dès que l'on commence à mériter leur confiance et leur amitié, les paysans viennent assez volontiers nous demander de les dépanner. Quelquefois ils abusent. A nous de déterminer le bien-fondé de la demande.
Ce jour-là, c'était un dimanche juste en début d'après-midi. Quelqu'un tape des mains devant la maison. C'est un homme d'une quarantaine d'années, accompagné d'un jeune garçon qui va lui servir d'interprète.
Sa fille qui arrive au terme de sa grossesse un peu plus tôt que prévu, veut contre toutes les coutumes, accoucher à l'hôpital et non pas dans la case, sous la surveillance des "matrones" comme le veut bien sûr la tradition.
Le seul véhicule du coin, c'est la 2cv fourgonnette des yovos (1) !
Devant l'urgence, il n'est pas question de tergiverser. On fonce la chercher dans sa « tata » distante de quelques km. J'ai pris chez nous un lit de camp qui peut servir de civière.
On fonce maintenant à petits "pneus" vers le dispensaire d'Avrankou mais il est fermé. On continue sur Porto-Novo en essayant d'amortir les secousses pour ne pas activer les contractions. Peine perdue. Entre deux cris de sa mère l'enfant naît …..dans la voiture.
Je suis tout ému d'entendre le nouveau né qui à son tour braille. Ses pleurs sont ceux d'un tout petit qui a faim et qui regrette le nid douillet qu'était le ventre de sa maman.
Un quart d'heure après, l'enfant, la maman et le papa seront à l'hôpital de Porto-Novo, en de bonnes mains.
Il va s'appeler ….. Robert c'est certain.
Un autre jour, c'est Lucien qui vient me chercher, pour emmener vers l’hôpital un de ses copains d'une tata voisine, tombé d'un palmier. Il souffre terriblement et sa mère a pensé à nous pour faire quelque chose. Je ne peux rien refuser à Lucien. Nous y allons.
Le jeune homme a été transporté par sa famille dans sa case et repose sur son lit. Mais il ne bouge guère. Je lui prends le pouls. Je ne sens rien. Je l'ausculte en posant mon oreille sur son torse, rien. Rien et pourtant il est encore chaud.
Dilemme...est-il chaud parce qu'il fait chaud en ce début après-midi ou est-il encore chaud parce que mort depuis peu ?
Faut-il le transporter ? Faut-il le laisser à sa famille et annoncer le verdict ? Est-il vraiment mort ou dans le coma ?
S'il est mort, c'est très récent, pas de trace de respiration sur le rétroviseur de la voiture, que je viens de démonter.
Je l’ausculte à nouveau. Je lui reprends le pouls.
Il est bien mort. Les préparatifs du deuil peuvent commencer
Je le laisse à la famille.
Écrit à Castelnau de Guers le 8 Avril 2020
Ce soir il y a une lune rouge.
Robert Arnold JAEGER-GARTZ
(1) C'est comme ça qu'on appelle les blancs.