Dans l'ancien temps était un petit royaume connu sous le nom du « Pays des Géants ».
Les historiens, les géographes, les ethnologues se disputent encore pour le situer exactement. Ce que l'on sait avec certitude c'est que les habitants étaient d'une très grande taille et vivaient une existence simple, joyeuse et tranquille car dans ce royaume tout n'était que beauté pureté et simplicité.
Un beau matin la reine fit quérir le roi et lui dit à l’oreille : « Sire mon époux nous attendons un héritier».
Aussitôt le ministre « de la succession » fut averti. Lui-même apprit la bonne nouvelle au « ministre des grands discours » qui en informa le « ministre des bonnes nouvelles ».Le peuple tout entier se prépara à la fête. « Nous aurons bientôt un prince héritier, nous aurons bientôt un prince héritier. Vive le roi vive la reine »
Il sembla aux habitants de tout le pays que ces jours d'attente duraient des semaines et les semaines des lunes.Quelques mois plus tard la reine commença à ressentir les douleurs annonciatrices d'une naissance imminente. Le peuple en fut averti par la rumeur. Il se pressa sous les balcons du palais. Par chance il faisait très beau et les fenêtres grandes ouvertes laissèrent entendre les premiers vagissements du nouveau-né. Les sujets chantèrent leur bonheur.
Le roi se montra au balcon. Le silence se fît. Un silence attentif, curieux. On pouvait même entendre le bourdon dans la bruyère. Il tendit les deux bras et présenta au peuple l'héritier mâle qui venait de naître.
Ce fût du délire. Un parchemin retrouvé récemment écrit dans une langue ancienne connue sous le nom de Sautaroc ancien, décrit « une grande bolegada » ou si vous préférez un grand remue-ménage. Accompagné de fifres un troubadour improvisa une chanson qu'il baptisa « Es nascut polit nadal ». Un trouvère de passage dans le pays, créa dans un idiome qu'on appelait l'anglois « Dieu sauve la reine ».Le tohu-bohu dut même déranger quelques fées habituées à plus de retenue car certains jurèrent les avoir vue danser une nuit sans lune. Une nuit sans lune ? C'était impossible.
Quelques temps plus tard le ministre des dynasties annonça au peuple le nom de l'héritier qui deviendrait un jour Guilhem Ier.
Des festivités eurent lieu dans tout le pays. Un feu d'artifice fut tiré. On fêta l'anniversaire du 2ème jour de l'enfant royal puis l'anniversaire du 3ème jour, du 4ème jour, du 5ème et du 6ème jour et puis on se reposa un jour entier pour recommencer pour l'anniversaire de la 1ère semaine puis de la 2ème et ainsi de suite.
Oh remarquez que dans ce pays des géants où tout n'était que beauté, pureté et simplicité on faisait des fêtes raisonnables.
Dans chaque foyer les membres de la famille apprenaient tous un instrument différent. Le père jouait du flûtiau, la mère du biniou, les enfants de la guimbarde ou du tambourin et le dernier de la crécelle.
Le conseil des ministres se déplaçait chez le petit peuple pour participer aux différents bals.
Le ministre des champs prenait la clef et menait le bal. Tandis que le ministre de la table s'invitait à la ronde. Le ministre des bonnes nouvelles marchait au pas.
Le ministre des nouvelles qu'il faut confirmer ne savait plus quoi dire, le ministre de la succession perdait sa suite et celui des grands discours restait sans voix..............Dans les maisons chacun se faisait un devoir de dresser la plus belle table avec une nappe en coton brodée. Les menines répartissaient des corbeilles remplies de beaux pains ronds et de fougasses. Elles installaient des confitures d'agrenalas, d'arbouses et d'amora de bartàs. Le papé préparait une flambusca où brûlait des ceps de vignes pour rôtir la lièvre et quelques lausetas. Le flambadou était apprêté, le lard commençait à fondre. Le papé en avait la larme à l’œil à moins que la cause de cette larme ne soit due à la fumée !
Les fêtes durèrent, durèrent près de deux lunes. Puis un jour le ministre de la rigolade annonça qu'il fallait s’arrêter. « Je vous demande de vous arrêter, je vous demande de vous arrêter » dit -il d'une voix docte. Chacun retrouva le rythme normal des jours normaux.
Guilhem grandissait et recevait du ministre de l'esprit une éducation simple mais capable de faire de lui le meilleur souverain possible. Des pourparlers avaient été engagés dès sa naissance pour le marier quand il en serait temps avec la princesse Zénobie d'un royaume se situant à quelques distances de là.
Tout était tranquille paisible et prévisible. Les jours s'écoulaient au rythme du soleil, les lunes au rythme des lunes, les saisons au rythme des saisons.
C'est alors qu'un événement totalement improbable donc imprévu sema le trouble dans le royaume. Au point que tout le monde y perdit son raisonnement.
Le ministre de la succession et le ministre des bonnes intentions avaient été mandatés pour conclure l'acte de mariage avec le gouvernement du pays de Zénobie. Mais le ministre des bonnes intentions outrepassa ses prérogatives et promis la lune à son homologue. Mais la lune n'appartenant à personne cela créa une grande confusion. La rupture des relations diplomatiques entre les deux pays fut même annoncée.
Le roi en fût tourneboulé. Il en oublia le protocole et l'étiquette au point de descendre de son piédestal en disant à la ronde « Malur de malur, saique non, de que nos arriba ».
Une guerre ? !!! Jamais chose pareille n'avait été envisagée. Le pays des géants n'avait jamais eu besoin d'armée. La taille de ses habitants avait toujours suffi à décourager d'éventuels belligérants. Et puis avec ses protections naturelles on ne risquait rien. Du moins le croyait-on jusqu'alors. Au septentrion le « flume d'Erau » assurait une barrière naturelle jugée suffisante. Coté orient et midi un torrent impétueux « Marcouri » avec ses gorges profondes ainsi que des montagnes comme « Pioch de My », « Pioch Trouchat », « Roquelopio » en aurait dissuadé plus d'un.
Le roi chassa le ministre des bonnes intentions et il promulgua l'article indéfini qui lui donnait les pleins pouvoirs. Dans sa grande sagesse Sa majesté préféra la voie diplomatique et chercha un émissaire de confiance. La réponse lui apparut évidente. L'ambassadeur tout désigné serait Guilhem en personne. Les choses sont comme elles sont et elles sont bien faites les choses. Par le plus grand des hasards le père de Zénobie tint le même raisonnement si bien qu'il envoya sa fille qui partit en ambassadrice plénipotentiaire dans un pays neutre pour résoudre le conflit naissant. Plus tard on appela cela les « accords de Nébian ».Pour plus de sécurité et de confort, les dignitaires de cette partie du monde voyageaient toujours la nuit les jours sans lune. Les guides qui avaient une lecture parfaite de la carte des étoiles les dirigeaient toujours à bon port. Mais voilà que les temps s'en mêlèrent. Les temps car il faut distinguer le temps qui passe et le temps qu'il fait. Le temps qui passe jouait en leur faveur. Le ministre des contradictions qui était chargé de l'état d'urgence avait déclaré « Il faut donner du temps au temps ».
Par contre et par malheur le temps qu'il fait se gâta. Plusieurs semaines durant le ciel s'obscurcit. Cela n'était jamais arrivé. Les nuages cachèrent les étoiles et la lune qu'on avait voulu vendre. Les guides perdirent leur chemin et les délégations le nord.
Elles errèrent ainsi plusieurs nuits. Presque une lune. Les délégations tournèrent en rond et en vain.A force de tourner en rond ils attrapèrent le tournis. Alors ils essayèrent de tourner dans l'autre sens pour retrouver celui de l'orientation. Le temps, celui qui passe durait ou celui qui dure passait c'est selon. Certains historiens après de savants calculs affirment que chaque délégation tournant en sens contraire devaient finir par se rencontrer. D'autres plus romantiques estimèrent qu'à l'évidence ils n'auraient pas besoin des étoiles, la force de l'amour les guidant mieux que tout. La lune fit bien les choses. Elle déchira les nuées quand les deux délégations se croisèrent. On cria au miracle.
Comment firent-ils pour se reconnaître ? Nul ne le sait. Ils restèrent quelques longs instants à se regarder. Ils s'approchèrent lentement, lentement.
Ils allaient tomber dans les bras l'un de l'autre quand une fée un peu trop pressée et un peu trop zélée cru bon de les stopper tout net. D'un coup de baguette elle les changea en pierre. !! Elle s'aperçut trop tard qu'elle s'était trompée de baguette.
Si vous allez à Castelnau du côté de la Crémade à l'ouest de Montioulou vous verrez Guilhem et Zénobie tout prêts de s'embrasser. On les appelle pudiquement les ROCS BESSONS les rocs jumeaux. La légende dit que « Le jour où ils s'embrasseront ce sera la fin du monde ».Si vous avez le temps et le courage de vous rendre là-bas un soir de pleine lune, vous remarquerez, à condition d'être discret, silencieux et attentif et seulement si vous avez débarrassé votre âme de tous les préjugés qui encombrent les adultes, vous remarquerez donc une ronde autour des corps pétrifiés de nos deux amoureux princiers. Cette ronde réunie les fadetas et les fadarelas, les descendantes de la fée un peu trop pressée. Elles implorent le ciel de rendre vie aux Rocs Bessons.
La musique est intérieure ce n'est pas grave si vous ne l'entendez pas. Regardez, regardez bien, vous voyez elles changent de rythme. Regardez ! Elles suivent la musique.Castelnau de Guers le 21 Janvier 2016
Robert JAEGER-GARTZ