J'ai été, dans cette enfance un peu chahutée, très souvent en contact chaleureux avec les aînés. Les vieux.
C'est drôle. Au fur et à mesure que moi-même je vieillis je trouve ce qualificatif «vieux» de plus en plus beau.
Les appellations septuagénaires, octogénaires me rendent serein. Quand j'ai eu quarante ans j'ai compris qu'il fallait trouver de la beauté à ces «génaires» là.
J'ai souvent moqué ce fait divers relaté dans les journaux:
«Un homme jeune de 39 ans s'est fait écraser par une voiture. Il avait la vie devant lui......»
Le lendemain de son anniversaire le même article aurait relaté le même fait divers de la façon suivante :
«Un quadragénaire s'est fait écraser par une voiture. L'homme avait déjà derrière lui une belle carrière.....»
J'écris ces mots alors que je suis «génaire» depuis: 37 ans.
A remarquer qu'à l'âge de 60 ans vous retrouvez une sorte de nouvelle jeunesse. Vous êtes pour 10 ans «sexagénaire». Excusez cette plaisanterie libidineuse. Après c'est selon.
J'ai été à l'âge de 5 ans élevé par des «vieux». Merci à eux de m'avoir tant donné. Eux aussi étaient « génaires » depuis un certain temps.
D'une certaine façon « chers vieux » vous avez largement participé à ma construction. Merci à vous.
Mon grand-père. Le père Lanier était le deuxième mari d'Alice ma grand-mère. (Ce n'était donc pas mon grand-père biologique mais mon grand-père spirituel). Pour indiquer sa relative désapprobation devant un jeu de mots douteux il aurait dit «C'est spiritruelle de clerc de notaire».
Quand je suis arrivé à Paris venant de Germanie, René Lanier était ce qu'on appelait un «rentier». Non pas qu'il ne fasse rien. Non mais il avait hérité de rentes qu'il faisait fructifier. Mais tout le monde le connaissait en tant qu'aquarelliste. Il passait le plus clair de son temps à peindre. Souvent, le dimanche et le jeudi, j'allais avec lui, place du Tertre à Montmartre et dans d'autres endroits de Paris.
Outre la peinture, Pépère s'occupait de la gérance d'un cinéma situé tout en haut de la rue de Rochechouart et du boulevard du même nom. Il avait été dessinateur dans deux journaux satiriques dont « Pêle-Mêle », mais également gérant du casino de Bagnols de l'Orne et plus tard de Menton. Il avait crée des décors de théâtre.
C'était et c'est toujours dans les années 1980 le cinéma le "Delta". J'y ai découvert Zorro, Bambi et peut être d'autres inoubliables et pourtant oubliés.
Rober Simon dont j'ai hérité de pas mal de peinture. Oncle Bob l'artiste peintre n'a en fait avec moi aucun lien de parenté. Mais il est l'ami de toujours, de mon grand-père. Il venait souvent à la maison. Ce sont alors des discussions artistiques et littéraires dont je ne comprenais pas tout, loin de là, mais elles semblaient exquises. Il habitait une petite maison assez sombre. Dans le jardin intérieur, jardinet devrais-je dire, trône une balancelle en fer forgé un peu rouillée mais très romantique. Là encore une odeur. Celle du buis ou du pipi de chat.
En faisant un peu d’œnologie j'apprendrai plus tard que ces deux odeurs sont les mêmes et qu'elles caractérisent entre autres le cépage "sauvignon" !
Dans les années 60 quand j'étais en « prépa »à Montargis j'allais le voir dans une maison au rez de chaussée d'un immeuble pas loin du cirque d'hiver.
Sur le même palier que mes grands parents, la mère de René Lanier.
Son nom ? Madame Lanier. Je n'ai jamais entendu qui que ce soit l'appeler ni par son nom de famille ni par son prénom.
C'était définitivement Mme Mère.
A l'heure du repas Mme Mère n'avait que le palier à traverser pour frapper à la porte. «Boubi veux-tu ouvrir à Mme Mère ?» me demandait ma grand-mère.
Boubi c'était le surnom que ma grand-mère utilisait ainsi que Vévette Bertin du 6ème étage, chez qui j'allais souvent rejoindre Josy qui n'avait que deux ans de plus que moi. Robert, Bob, Boubi.
En garçon bien élevé j'ouvrais la porte et je m'inclinais cérémonieusement pour esquisser un baise-main à Mme Mère. Cette dernière s'approchait à petits pas de la table. Boubi était là pour reculer sa chaise. Elle était sourde comme un pot. Toujours vêtue de noir avec de grandes robes longues, serrées à la taille, un chignon de cheveux gris très strict. C'est la mode de la fin du XIXème siècle. Elle portait des lunettes genre lorgnon. Elle adorait faire avec moi des parties interminables de petits chevaux.
Mme mère était une femme d'une autre époque. Imaginez bien. Elle était née vers 1867. Elle avait peut être connu Jules Grevy et Sadi Carnot
Il y avait aussi Tante Berthe, une vieille amie de Mémère, dont je garde toujours une carte, envoyée pour ma première communion alors qu'elle avait 80 ans.
Tati, la générale Fichet, amie de mes grand-parents, demeurait à Rambouillet. J'ai en tête l’image d'un parc immense et très beau. Quelques rares souvenirs avec son fils Alain à la Tournerie. Une photo témoigne des jeux que ce grand jeune homme partage avec moi, déguisé, presque déshabillé.... en indien Sioux ou peut être Iroquois, quoique certainement plutôt Mohican...
En 1952 j'arrive avec ma «nouvelle famille» à Salsigne le fief du «Père Vencell»
Là vivait dans une maison mitoyenne à la notre, Mémé, alias Alexandrine Bonnafous la tante de Roger Vencell, la sœur de sa maman.
C'était la paysanne méditerranéenne type, toute de noir vêtue, petite bien sûr, elle avait une figure toute ridée avec une verrue qui lui poussait sur le coin du nez mais qui, pour nous, ne l'enlaidissait pas. Un fichu noir encadre ce visage et ne laisse apercevoir que quelques cheveux gris tirés dans un maigre chignon. Elle va, courbée sous le poids des ans et surtout sous celui de fatigues accumulées dans les travaux des champs. Quand elle revient du lavoir elle marche ainsi le buste à l'horizontale. Au pied de l'escalier l'amenant à la porte de sa maison, elle s'arrête, met les mains sur ses hanches, se redresse, se cambre même, avant d'entamer l'ascension des marches de pierres.
Je vais assez souvent chez elle l’entendre raconter des histoires d’avant.
« Mamé conta-me, parla-me de ton vilatge. Parla-me de que soscas Mamé ». (Mamé conte moi , parle moi de ton village. Parle moi de tes souvenirs Mamé).
E la mamé canturleja son conte al canto del fuoc, las mans pausan sus los cueissas. (Et la mémé chantonne son histoire au coin du feu les mains posées sur les cuisses).
Elle parlait très bien le français la mémé mais sans doute mieux encore le patois.
Elle possède deux pièces. L’une à l’étage où je ne suis jamais allé. L’autre au rez de chaussée. Au fond son lit à baldaquin, une petite table devant la cheminée où le feu est toujours allumé.
Un « faito »( a prononcer fait-tout) contient une soupe ou un genre de cassoulet. Ce sera son repas avec un bocin de pan (morceau de pain). Et demain, et bien quoi demain? Demain ça sera le même « faito » dans lequel peut-être elle aura rajouté un morceau de cansalade ou de tindelou (lard).
Une petite fenêtre au-dessus de l'évier en pierre de grès n'a qu'un robinet, d'eau froide bien entendu. Une ampoule électrique pleine de chiures de mouche, n'est allumée qu'à la nuit tombée. A coté de l'ampoule pend du plafond, noirci par la fumée, un serpentin de glu destiné à attraper ces foutues mouches.
Cette description de la maison de la « Mémé » ne date pas du XIX ème siècle mais bien des années 1952 – 54.
Et puis il y a les autres vieux. Non pas les proches mais les miens, ceux de Salsigne. Le maréchal ferrant de la placette, le boucher de la place. Ce que l'on entendait sortir de leur bouche c'était un mélange de patois où les «r» devenaient des torrents de « rrr » qui auraient rendu des récits de guerre ….........amusants. Il est où Rrrroger ? Es partit à la guerrrrra.
Et quand Roger Vencell était revenu, on demandait à Myriam la fille de Josette : « Comment il s'appelle parrain ? Sachant qu'on allait rire quand elle prononcerait Rrrroger, elle répondit : « Tonton Pierrrrre ».
Écrit à Castelnau de Guers le 21 Avril 2020
Robert Arnold JAEGER-GARTZ
Mme mère était une femme d'une autre époque. Imaginez bien.
Elle était née vers 1867.
Elle avait connu Jules Grevy et Sadi Carnot