Quand nous arrivons dans le pays qui nous accueille, nous n'avons pas de projet et pas de directive.
Mais nous avons une recommandation : Être à l'écoute.
Et une obligation : Construire avec la population une maison qui leur reviendra après le départ de la dernière équipe.
Après quelques enquêtes chez les notables et les paysans de la toute nouvelle sous-préfecture d'Avrankou nous avons retenu les besoins exprimés par une majorité, à savoir :
Améliorer la race locale de poules pondeuses. Il faut maintenant la concrétiser.
Mais il devient primordial de déterminer dans quel village allons nous construire cette maison. Le village de Sékamé d'où est originaire Lucien est choisi. (Lucien a fréquenté l'école jusqu'au certificat d'études et parle très correctement le Français).
Le village ne déboursera pas un centime mais devra sur la base du volontariat fournir la main d’œuvre nécessaire.
Deux ingrédients vitaux sont indispensables l'eau et la terre. Un puits nous fournira les deux. Ce puits sera creusé par les villageois. Pas ou pratiquement pas de cailloux, seulement une belle argile rouge. Il est habituel de creuser un puits sans aucune armature intérieure. Nous choisissons de le consolider avec des buses en ciment, coulées par nous mêmes.
Il est inhabituel sous ses latitudes d'utiliser une poulie pour monter l'eau. Des troncs d'arbres au bois assez tendre sont installés en travers de l'ouverture. Les cordes frottent sur les troncs. Au bout de centaines de remontées la poutre est lissée, sculptée, creusée de sillons, prête à se rompre. On rajoute une nouvelle poutre et ainsi de suite.
La terre extraite du puits ainsi que celle d'une carrière faite à proximité, sera mouillée, mélangée avec un peu de ciment pur, pétrie pour être compactée et moulée en briques à l'aide d'une presse. Après séchage au soleil tamisé par des palmes, on peut commencer à monter les murs.
Le plan est simple. Une salle de séjour rectangulaire, entourée de quatre pièces. Trois seront affectées aux chambres, la dernière sera la pièce où l'on stocke le petit matériel.
Derrière la maison une cuisine séparée et une douche reliée par une tuyauterie à un petit château d'eau. Dans la salle de séjour, deux grandes portes fenêtres se font face. Dans les chambres les fenêtres sont faites de claustras sans volet. Le sol est cimenté. Les meubles sont commandés dans des menuiseries de Porto-Novo.
La charpente est constituée de troncs de filaos que nous allons chercher entre Cotonou et Porto-Novo. Les troncs séchés donnent un bois très dur et très résistant aux termites qui sont ici un véritable fléau.
Après moult palabres qui porte sur le choix du matériau à utiliser, le toit sera fait en tôle. Nous laissons beaucoup d'air entre le faîte des murs et celui du toit afin que la ventilation soit suffisante. Un toit en palme eut été plus esthétique et plus frais. Mais il faut le refaire régulièrement et nous optons pour le plus durable.
Sur le devant nous organisons un jardin floral avec des barrières et des portiques de bambous. Quelques bordures de crotons et d'orgueil de chine, quelques tarots oreilles d'éléphants, un arbre du voyageur, quelques pervenches de Madagascar. La façade sera passée à la chaux. Elle aura ainsi un air plus accueillant. Derrière la cuisine nous installons un jardin potager. Nous essayons des tomates, des poivrons, des salades, des aubergines. Mais les radis filent, les salades montent trop vite. Le climat équatorial n'est pas favorable aux légumes "européens". J'apprendrai à mieux faire, bien plus tard
Dans notre maison de Sékamé construite par nos mains, blanches et noires réunies, nous sommes beaucoup plus au calme qu'à Avrankou.
Peu de temps après notre installation dans notre nouvelle maison, nous constatons que le ciment de la salle de séjour comporte une usure ondulée comme un long serpent. L'usure est visible et sensible sous le doigt. Elle commence à la porte de devant, passe sous la table et s'arrête à la porte de derrière. Mais à bien y regarder, l'usure continue.
Nous suivons et bientôt nous rattrapons une colonne de fourmis en migration. Des milliers de « magnans » dont les ouvrières qui transportent les œufs et les soldats qui protègent la colonne.
Nous n'avons pas de case fétiche à l'entrée. Nous sommes trois hommes et nous sommes « écrits dans les registres ». Nous sommes à Sékamé comme dans le reste du royaume devenu sous-préfecture, sous la protection du Roi Kéké. Nous n'avons pas de serrure aux portes. Ici pas de voleur.
A chaque visite chez le vieux Kéké une bouteille de whisky ou de champagne chaud nous attend. C'est comme ça. Diplomatie oblige.
Et à propos de diplomatie. Nous ne nous prenons pas trop au sérieux mais pour les Dahoméens nous sommes les représentants de la France dans ce petit coin de pays. Les autorités administratives, politiques ou coutumières nous traitent avec respect et surtout beaucoup de sympathie. Nous sommes invités à toutes les cérémonies se passant dans la sous-préfecture.
Ce n'est pas toujours très amusant d'attendre dans nos costumes cravates, les officiels toujours en retard, prononçant des discours, en langue vernaculaire, quelquefois traduits officiellement en français à notre intention et toujours expliqués avec beaucoup de finesse par Lucien.
Post scriptum : A chaque 14 Juillet (65 et 66) nous avions la visite des autorités venus nous saluer. Et à chaque fois le même message de respect au Général de Gaulle qui leur avait donné l'indépendance.
J'ai connu personnellement Hubert MAGA celui qui fut le premier président de la république du Dahomey. J'ai connu plus protocolairement le président SOGLOO ancien officier supérieur de l'armée française. Aucun n'a jamais eu la moindre parole de rejet de la France.
Il n'a jamais été question de crime contre l'humanité et de repentance du colonisateur. Bien au contraire. Monsieur MACRON révisez vos discours.
Écrit à Castelnau de Guers le 10 Avril 2020
Période de Confinement oblige, nous venons de faire un ravitaillement à Pézenas avec l'imprimé de dérogation dûment rempli pour ne pas subir une contravention de 135 € en cas de manquement.