Été 1947 j'arrive à Paris au 39 de la rue Rochechouart en provenance directe d'Allemagne.
Dans les jours qui suivent nous partons, ma grand-mère maternelle Alice Lanier et moi en train pour la Normandie.Nous sommes attendus à la gare de Flers par Georges Touzot fermier à la Tournerie sur la commune de St Pierre d'Entremont. Il conduit l'automobile. L'auto dont je garde l'odeur inscrite dans ma mémoire olfactive. Mélange de cuir et d'essence. Elle nous fait faire à une vitesse très raisonnable le trajet entre la gare de Flers et le hameau de la Tournerie distant de 9 km. Quelquefois, peut-être parce que l’automobile est en panne ou bien parce Georges Touzot sent qu'il a dépassé la dose raisonnable de « calva », vient nous chercher à la gare de Flers en carriole avec dans les brancards les fesses rebondies de Pompon. Le chemin de la chasse, sombre et encaissé prend toute sa dimension inquiétante. Les bruits sont amortis par les talus qui bordent le chemin. On entend que le crissement des roues de la carriole et le « clon clon » à deux temps du trot du cheval. Bruits amortis par les feuilles mortes.
Nous arrivons dans le berceau de ma famille maternelle. Camille Onfray où mon arrière grand père est le maître des lieux.
J'ai ici, j'en suis certain ma première notion de vacances et de la vie à la campagne.
Bien sur nous sommes en Normandie et il n'a pas manqué de temps en temps de pleuvoir ne serait ce que pour faire sortir les escargots. Mais dans mes souvenirs il fait toujours beau.
La Normandie c'est St Pierre d'Entremont dont fait partie le hameau de la Tournerie. C'est aussi Cerisy Belle Étoile le petit village de l'autre coté de la petite rivière «le Noireau».
Pépère Camille trône sur sa chaise, tenant toujours sa canne à la main en prenant le soleil devant la porte. Il est de petite taille, sourd comme un pot, la moustache à la Clemenceau, un air bonhomme, un peu rondouillard, toujours coiffé d'une casquette. Il faut crier à son oreille pour qu'il entende.
Il fut le plus gros propriétaire terrien de l’Orne. Il posséda la première voiture automobile du département. Il était propriétaire de la totalité du hameau de la Tournerie. Pendant la guerre de 14-18 il a servi dans la cavalerie. Je suis fasciné par le képi orné des galons de capitaine et par son sabre de cavalerie. Plus d’un demi siècle plus tard on parle encore de lui dans le canton de Flers avec beaucoup de respect.
Le père Onfray à une gouvernante en la personne de Nini. Nini a deux joues bien rondes toujours fraîches qui sentent bon le propre quand je les embrasse. Nini c'est aussi le lavoir et l'odeur spéciale du ruisseau mêlé au savon de "Marseille". Agenouillée dans une boite à trois cotés garnie de paille, elle trempait le linge dans l'eau, le savonnait puis le frappait avec le battoir, le tordait, le retrempait, le rinçait. Travail pénible sans doute mais aux odeurs simples. On dirait aujourd'hui "écologique" !
Mon arrière grand-père repose pour l'éternité dans le seul caveau du cimetière de St Pierre d'Entremont à droite dès l'entrée du cimetière. Sa petite fille Jacqueline a voulu qu'une partie de ses cendres soit à coté de lui dans la mort. Ses dernières volontés ont été respectées. Marie-France et moi avons les avons apporté dans une urne funéraire dans le caveau de son grand-père.La Tournerie c'est la maison du père Aubry, «la grande maison» qui fût la maison Onfray. Cette maison sent la cire qui protège de très beaux meubles. Mais c'est aussi la grenouille dans son bocal qui sert de baromètre et les sangsues pour les saignées.
La Tournerie c'est le voisinage de la famille Touzot. Henriette la maman avec laquelle on va traire le soir dans les prés. Nous partons avec le seau et le bidon d'aluminium ainsi que le petit banc à trois pieds. Avant de débuter la traite elle même, nous rinçons les pis de la vache avec la première giclée recueillie dans la paume de la main. Puis s'ensuit le chuintement régulier du lait coulant dans le seau.
Je me souviens du ramassage des doryphores dans le champ de pomme de terre. Nous les mettions dans des boites de conserve usagée avant de les faire brûler.