Premier trimestre 1951, je vais avoir 8 ans.
C'est le retour de la famille Vencell d'un séjour de 24 mois en Indochine. Nous nous installons pour 9 mois à Vannes. J'ai peu de souvenir de cette ville si ce n'est de la caserne où nous habitons et du trajet de la caserne au lycée qui me fait passer près d'un moulin à marée. J'y chaparde quotidiennement une poignée de froment pour l'utiliser comme chewing-gum.Souvenir également des militaires qui saluent le lieutenant Vencell qui semble gêné par l'obligation de répondre au salut.
Beaucoup de femmes portent encore la célèbre coiffe Bretonne.
J'ai en mémoire les odeurs de la lande à mousseron sur le bord de mer et le souvenir des crabes ramassés presque à foison à marée basse.Pendant l'été 1951 nous déménageons sur Bergerac. Le pater familias est affecté à Agen. Le couple Vencell loue une épicerie que tiendra Maman pendant que « le père » prépare sa démission de l'armée.
A la rentrée scolaire 51-52 je suis inscrit au lycée Jules Ferry en 9ème. Je n'arrive pas à m'intégrer ou bien en suis-je rejeté ? Je ne me souviens pas exactement pourquoi. J'ai même l'impression que je ne suis pas inscrit dans la bonne classe.
Je quitte alors le lycée pour une école communale toujours en 9ème.
C’est le père Vencell que je dois appeler «Papa» qui m’accompagne jusqu’à cette nouvelle école à quelques km de Bergerac. Je ne sais ce qu’il dit au directeur d’école qui sera mon instituteur mais je me souviens de l'entrée en matière musclée du maître d'école qui m'introduit dans la classe en me tenant par les cheveux. C'est à peine si mes pieds touchent le sol.
Bergerac c'est aussi mon premier pantalon long, un pantalon de golf. Jusqu'alors, comme tous les gamins de cette époque, je courrais genoux à l'air quel que soit le temps.Ce sont encore des odeurs. Celle de l'épicerie avec la vente du vin au détail. Les clientes grandes consommatrices dont le juron préféré était "Fi d'garss" traduisez, fils de garce. Quelle élégance !
Souvenir de la magnifique glycine du jardin, du chien-loup du voisin retrouvé agonisant empoisonné avec du verre pilé.Ce sont les promenades dans les bois le dimanche où nous cherchons des nids quand « Papa » est en permission. Mais il faut surveiller Dani et Michou, il ne faut pas se salir, il ne faut pas grimper aux arbres.
Le soir avant d'aller au lit c'est le lavage de mes sœurs dans la bassine sur la table de la cuisine.
A une remarque de Maman qui dit à Danielle « En général on se lave avant de se coucher », Danielle répond du tac au tac : « Mais moi je ne veux pas être général ».Ce sont les journées passées sur les bords de la Dordogne avec le voisin qui pêchait des carpes énormes.
Quand je peux m'échapper de l'obligation de surveiller Dani et Michou je vais dans la rue Valette admirer les potiers travailler. Je suis fasciné par le tour actionné avec le pied et la main qui caresse l'argile et donne la forme souhaitée à la glaise. Pour je ne sais quelle bêtise Maman me poursuit, des socques, ramenées d'Indochine à la main, pour m'administrer une correction qu’elle juge méritée. Je souffre plus de l’injustice que de la fessée.