Sans doute pour me différencier de la famille qui n’est pas pratiquante et peut être pas croyante, mais aussi pour me sortir du milieu familial, je deviens "enfant de chœur".
Les aubes blanches avec des surplis rouges sont encore de rigueur, mais elles sont très vite remplacées par des aubes entièrement blanches.
Mon copain Ignace Campayo devient enfant de chœur en même temps que moi. Nous prenons très au sérieux notre fonction de « servant ». Peut être un jour serons nous thuriféraire.
Le Père Bobichon, est grand, maigre, vêtu de la soutane noire traditionnelle de l'époque. Il est plein d'énergie, chaleureux et charismatique.
Il deviendra plus tard chanoine de Coursan.
Être enfant de chœur c'est un moyen de chanter. Mais il y a aussi les avantages que confèrent la quête. La plupart des offrandes faites par les fidèles sont destinées à faire vivre l’église et son curé. Mais pour les mariages, les baptêmes et les enterrements nous avons une petite partie du pécule. Ces subsides nous permettent, Ignace et moi, d'acheter nos premières cigarettes. Elles nous rendent malades bien sûr mais il est important de devenir des hommes. On essaie de cacher l'odeur avec des amandes pas encore trop dures au printemps, puis des cerises chapardées ici ou là ou plus tard des mures.
A la sortie de la messe dominicale, j'ai la charge parentale bien douce, de passer chez le pâtissier, pour y acheter les mille-feuilles et autres éclairs auxquels la maisonnée a droit le dimanche.
Le vendredi-saint les enfants de chœur passent de maison en maison et de ferme en ferme pour récolter des œufs frais chez l'habitant. Cette récolte faite nous partons le lundi de Pâques avec le père Bobichon déguster les omelettes en campagne. Omelettes préparées par nos familles. Omelettes salées mais aussi les délicieuses omelettes sucrées de maman.
Filles et garçons réunis, ce qui est rare à cette époque. En dehors du catéchisme et de l'école cela n'arrive jamais.
Parmi ces demoiselles il y a Marie-José Albero. Elle vient à l'école au village mais habite au hameau de « la mine ». J'en suis amoureux mais je n'ai jamais osé lui dire quoi que ce soit. Nous ferons la communion solennelle ensemble et monterons à l'autel ensemble. Comme pour un mariage........ Et puis. ? Comme j'ai le bras droit dans le plâtre suite à ma clavicule qui n'a pas résisté à une chute à vélo, c'est Marie-José qui m'aide...
Et puis ? ….....Et puis c'est tout. La timidité.
La communion solennelle se prépare entre autre par une retraite de prières durant quelques jours. Nous allons du coté de la Montagne Noire toute proche.
Une petite ferme isolée du coté de Cubserviès va nous abriter deux ou trois jours. Le soir tout le monde va se coucher mais nous avons découvert une bouteille de « carthagène » sur la cheminée ! En découle ma première connaissance avec le vin ainsi que ma première « petite » cuite.
C'est à Salsigne que j'apprends à nager dans l'Orbiel en amont des châteaux de Lastours. Nous descendions à pieds par les chemins de traverse jusqu'à la rivière en amont du village.
Les plus grands expliquent aux petits les mouvements pour faire la nage dite indienne, réputée silencieuse. Il y a une vasque d'eau assez profonde pour accueillir ceux qui tentent de vaincre leur peur. Le rite initiatique incontournable consiste à plonger la tête la première pour rejoindre, sous l'eau, la rive d'en face.
Sur l'unique vélo de course de Philippe Bezon nous avons un deuxième rite à passer, celui de la descente en vélo de la Jonquières jusqu'à l'entrée de Lastours au niveau de l'église. Un km de descente à 7,5% de moyenne. La vitesse estimée avec un tournant en épingle à cheveux, frôle 80 km/h dans les trois cents derniers mètres avant l'entrée du village.
Mais il y a aussi avant son départ et à son retour d'Indochine les fins de semaines en famille, ou les balades du dimanche avec les pique-nique au Martys en « Traction-avant ». Maman étale une nappe dans un pré, bordé par un torrent. Le « A table » émanant du chef de famille ne souffre d'aucun retard. Ici aussi il ne faut pas parler à table, ne pas se salir. Pas question d'essayer de pécher, pas question de se mouiller.
De Salsigne nous allons assez régulièrement, chez Calixte, son frère aîné et sa femme Blanche. Il est gendarme et habite la caserne de Lagrasse. Il y a toujours trois ou quatre tartes excellentes qui refroidissent sur le rebord de la fenêtre de l'appartement de fonction du brigadier. Après le repas nous allons nous promener le long de la rivière pour admirer le jardin du tonton dont c'est la passion. Nous repartons d'ailleurs avec quelques magnifiques légumes.
La journée n'est pas forcément très amusante pour les enfants car il faut se tenir coi, rester propre et poli.
J'aime surtout le retour de nuit.
Les phares de la voiture creusent dans l'obscurité un tunnel que je trouve sécurisant. Seul « Le père Vencell » est, heureusement en éveil. Les filles à coté de moi somnolent. Pour ne pas les réveiller, personne ne parle. Je suis tranquille personne ne me posera de question.
Beaucoup plus simples et joyeux sont les séjours chez Tonton Georges et Tantine Malou à Antugnac. Il est vrai qu'il y a chez Malou assez de chambres et de lits pour nous accueillir.
Nous (les enfants) y faisons des séjours de presque totale liberté. Tonton Georges travaille comme chapelier à Couiza dans les usines très actives en ce temps là. Le soir et le dimanche, il cultive quelques arpents de vignes classées "Blanquette de Limoux". Dans ces vignes il y a au moins deux magnifiques cerisiers et des lapins de garenne. Ah les cerises. Les cerises cuites pour Micheline qui souffre d’urticaire dès qu’elle mange des fruits crus. Donc les cerises pour Danielle, Martine et moi. Les lapins à la broche, les petits-déjeuners au lait et au pain trempé.
Oncle Georges a les mains calleuses et colorées de tous les ouvriers qui sont chargés de mettre les chapeaux à la teinture et sur les formes à vapeur. Il fait le voyage quotidien d’Antugnac à Couiza en vélo. Oh cela ne fait que deux kilomètres. Mais ça grimpe.
Dés son arrivée il se prépare pour aller à la vigne sans oublier le fusil et les cartouches. Cet homme si calme, à la limite de la nonchalance, à un coup de fusil assez exceptionnel. Les lapins n'ont que peu de chance de lui échapper. L'art de faire cuire à la broche des lapins de "dehors" est porté à son summum. La fin de cuisson est faite avec du lard fondu tombant en grosses gouttes enflammées s'échappant du papier journal dans lequel il a été enroulé. Merveille des merveilles culinaires.
Tantine Malou elle, est une femme toujours de bonne humeur sauf et c’est un faux semblant, avec son mari dont elle assure qu’il est mou. Ils ont une réelle complicité. Tantine Malou nous prépare des plats simples et délicieux et des lits aux draps rudes en lin qui en hiver sont réchauffés par une bonne bassinoire qu'on appelle un « moine ».
Mais Salsigne c'est aussi des souvenirs moins roses car entre deux séjours en Indochine et après son retour définitif, l'éducation à la mode Vencell reprend. J'avais entre autres en horreur la saucisse, grillée ou autre. Je ne pouvais l'avaler. J’avais beau mâcher, mâcher, rien à faire. J'entendais alors la sentence du chef tomber :
"Si tu ne finis pas à temps tu en auras une louche de plus". Ou bien : "Tu as vomi, finis ton assiette y compris ce que tu viens de rendre."
Un jour Mme Gaman la maîtresse se plaint que j'ai tendance à me bagarrer avec des plus petits que moi. Dès mon retour à la maison le chef de famille m'ordonne d'enlever ma culotte courte que nous portions tous en ce temps là. S'ensuit une correction sévère accompagnée d'un ordre qu'il n'était pas question de discuter : « Maintenant tu vas partir en slip chercher le lait ». La laiterie jouxte l'école. « A coté de l'école ?». Heureusement les copains sont là pour m'encadrer pendant mon trajet et cacher ma honte.
Michel Gaman fait partie de mes copains. Ses parents sont instituteurs tous les deux. Monsieur Gaman est directeur.
Michel a lui aussi l'impression d'injustices trop fréquentes. Nous envisageons, si nous subissons une nouvelle réprimande de la part de nos parents respectifs, (les baffes volaient bas en ce temps là), de prendre "le Maquis".
Nous avons bien préparé notre départ comme une véritable opération survie. Sacs de couchage, couvertures, bougies, couteaux, lampes torche et je ne sais quoi encore, des boites de conserve.
Tout ce matériel était caché sous un des escaliers de l'école communale.
Nous ne sommes jamais partis.
Fait à Castelnau de Guers Le 20/03/2020
7ème jour du confinement contre le « Coronavirus »
Robert JAEGER-GARTZ